Dans l’économie moderne, l’émergence des actifs numériques a posé de nouveaux défis aux entreprises, notamment en ce qui concerne l’application des règles fiscales en matière de taxe sur la valeur ajoutée, ou “TVA”.

La difficulté réside dans la nature complexe et parfois indéterminée des actifs numériques, qui peuvent être qualifiés de manière différente selon leur fonctionnalité et leur utilisation. Cette diversité de qualifications peut entraîner une incertitude quant à l’interprétation et à l’application du régime de la TVA, exposant les entreprises à des risques de non-conformité fiscale et de litiges avec l’administration. 

Ainsi, la compréhension précise du cadre réglementaire de la TVA dans le contexte des actifs numériques est essentielle pour les entreprises afin de naviguer dans ce domaine complexe et en constante évolution. Cet article est destiné à donner un aperçu de ces règles et vous donner des pistes de réflexion pour qualifier vos actifs numériques.

La TVA et les cryptomonnaies

TVA crypto

Une cryptomonnaie est une représentation numérique de valeur comme le Bitcoin, les altcoins (de toute nature : des alts utilitaires comme Solana, Ethereum, etc., ou bien les meme coins comme Doge, Shiba, Dogwithat, etc.), et les stablecoins (USDT, USDC, etc.). Selon la loi, il s’agit d’un actif numérique au sens de l’article L54-10-1 du code monétaire et financier.

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a abordé la question de l’application du régime de la TVA aux opérateurs effectuant des échanges entre euros et BTC (Bitcoin), dans un arrêt du 22 octobre 2015. Suite à des débats entre États membres et des conclusions divergentes, la CJUE a déterminé que le Bitcoin est considéré comme une devise virtuelle ou contractuelle, dont l’utilisation implique un accord entre les parties pour la traiter comme une monnaie conventionnelle. 

De ce fait, les opérations de conversion entre cryptomonnaies (crypto/crypto) ou entre cryptomonnaies et monnaies fiduciaires (crypto/fiat) sont considérées comme des échanges de devises et ne sont pas soumises à la TVA, à condition qu’aucune marge n’ait été réalisée entre les cours de l’euro et du Bitcoin. 

Cependant, lorsque les plateformes d’échange réalisent une marge (par exemple, en tant que convertisseurs de devises), leur activité est exonérée de la TVA, similaire aux opérateurs de Forex qui convertissent des devises traditionnelles. Il est à noter que la TVA sur les achats n’est pas déductible dans ce contexte, et les entreprises non assujetties à la TVA peuvent être soumises à la taxe sur les salaires, augmentant ainsi le coût du travail au sein de l’entreprise.

Depuis cet arrêt du 22 octobre 2015, il existe un présupposé selon lequel l’achat de biens ou services avec du Bitcoin est exempt de TVA. Les opérateurs ont consulté de grandes entreprises qui ont développé des activités de conseil rémunérées en cryptomonnaie, espérant ainsi éviter la TVA. En réalité, du point de vue fiscal, lorsqu’on échange du Bitcoin contre un bien ou un service, une fiction juridique est créée : il s’agit d’un échange d’actifs (le BTC) contre un autre bien ou service. Par conséquent, l’achat d’un bien ou d’un service reste une transaction assujettie à la TVA, contrairement à l’idée répandue selon laquelle aucun impôt n’est dû dans de telles situations.

La TVA et les jetons numériques

Un jeton au sens de l’article L552-2 du code monétaire et financier est une représentation numérique d’un droit conféré à son propriétaire. Il se distingue des cryptomonnaies par le fait qu’il ne s’agit pas d’un moyen d’échange à proprement parler : ce n’est pas une valeur, mais un droit. 

Il convient de préciser que, comme une cryptomonnaie, le jeton est en principe un actif numérique au sens de l’article L54-10-1 du code monétaire et financier. Cependant, tous les types de jetons ne rentrent pas dans cette catégorie, certains en sont exclus. 

Cas des utility tokens

Les utility tokens sont des jetons donnant un droit particulier, par exemple de participer à un club privé crypto en ligne, de voter pour décider de l’évolution d’un produit ou d’une plateforme (c’est le cas, entre autres, de XTZ) ou d’accéder à un service. 
Si le token représente un certificat numérique d’un droit, alors il est assimilable à une prestation de services électronique, imposable au lieu du client consommateur / professionnel, au taux normal de la TVA.

Cas des tokens d’ICO

Un rescrit de l’administration fiscale énonce deux points importants : premièrement, en cas d’Initial Coin Offering (ICO) où aucune contrepartie immédiate n’est fournie (par exemple s’il existe un aléa sur la contrepartie à obtenir), aucune TVA n’est due tant que la contrepartie n’est pas rendue

Par exemple, dans le cadre d’un jeu vidéo, les skins promis lors de l’ICO ne sont soumis à la TVA que lorsque le jeu est effectivement lancé. 

Deuxièmement, concernant la déductibilité de la TVA, même en l’absence d’activité économique immédiate, il est possible de déduire la TVA lorsque les coûts supportés sont liés à une future activité imposable. Cela s’applique notamment aux tokens qui seront utilisés pour la vente d’objets dans un jeu vidéo, où la déduction de la TVA est envisageable dès lors que les activités futures imposables sont démontrées.

Cas des security tokens

Pour les security tokens, qui sont des tokens représentant un droit de nature financière, notamment un droit aux dividendes ou aux bénéfices d’une société, ils entrent dans le régime des titres financiers et sont donc exonérés de TVA. En effet, la cession de security tokens est assimilée à une cession de titres financiers, par exemples d’actions boursières

Cependant, cela engendre des difficultés pratiques : pour les opérateurs qui vendent ou achètent leurs propres titres, comme c’est le cas dans le cadre de fusions-acquisitions, la déduction de la TVA pose problème car il est nécessaire de démontrer que la TVA est collectée lors de la vente, ce qui n’est pas le cas dans un tel cadre. On examine alors si les coûts liés à l’opération en capital sont inclus dans le prix des actions ou s’ils font partie des frais généraux de l’entreprise, entraînant une complexité pour les opérateurs vendeurs. 

De même, les intermédiaires sont également concernés : si un intermédiaire agit dans le cadre de transactions sur des security tokens, le régime de TVA exonéré s’applique, ce qui entraîne une imposition via la taxe sur les salaires.

Cas des tokens non fongibles (les NFT)

tva nft

Le régime fiscal du NFT dépend de son sous-jacent : tout dépend de ce qu’il représente en pratique. Il s’agit donc de déterminer au cas par cas à quoi correspond chaque NFT. 

Si un NFT représente un certificat numérique de droit de propriété (comme dans le cas des cartes à collection Sorare, par exemple), il est considéré comme un bien incorporel électronique. Sa cession est alors similaire à la vente d’une image dans une banque d’images.

Cette transaction est taxable au lieu du client particulier, ce qui peut poser plusieurs problèmes. 

Certains opérateurs pourraient vouloir traiter les NFT comme de l’art numérique, cependant, cette catégorie n’est pas définie dans la législation européenne en matière de TVA. Ainsi, les NFT ne sont pas assimilés à de l’art du point de vue fiscal. Par conséquent, si un NFT est vendu en France à un utilisateur français, il est obligatoire de collecter la TVA à un taux de 20%.

Dans le cas de ventes transfrontalières de NFT, il peut être difficile d’identifier le lieu d’établissement de l’acheteur. Si le paiement est effectué en cryptomonnaie, il n’est pas toujours possible de déterminer le compte bancaire, et au mieux, seule l’adresse IP est disponible. 

L’administration fiscale donne des indications sur la façon de remplir ces conditions : par exemple, si l’utilisateur est en Allemagne, il faut collecter le montant de la TVA allemande. Cependant, dans de nombreux cas, il n’y a pas de précision claire. La législation n’est donc pas encore adaptée à ce secteur, ce qui complique la tâche des opérateurs pour remplir les obligations fiscales, même en anticipant au maximum.

La situation est plus simple avec les professionnels, car ils sont tenus de se déclarer et disposent d’un numéro de TVA, ce qui permet de savoir où ils se trouvent lors de leurs achats. Cependant, les achats de NFT entre entreprises sont encore relativement rares.

La principale difficulté réside dans la convergence de plusieurs caractéristiques au sein d’un même NFT. Une fois que toutes les catégories auxquelles le jeton peut appartenir ont été identifiées, quelle est la caractéristique dominante ? Par exemple, un NFT pourrait représenter à la fois une œuvre d’art, offrir un retour financier et donner accès à un service tel qu’une visite guidée ou un club privé. Dans de tels cas, une analyse au cas par cas est nécessaire, car les différentes composantes sont souvent étroitement liées, rendant la qualification fiscale complexe. Lorsqu’il y a un risque de qualification financière, il est recommandé de discuter avec les autorités compétentes pour parvenir à un accord.

En ce qui concerne la TVA, le même principe s’applique : il est nécessaire de choisir un régime fiscal, ce qui implique de déterminer l’élément principal parmi les différentes caractéristiques du NFT. Est-ce le retour financier le plus important, le service offert, ou encore l’œuvre d’art ? Dans ce cas également, il est possible de solliciter l’avis de l’administration fiscale.

Ainsi, que ce soit en matière de qualification financière, de TVA sur les œuvres d’art ou sur les prestations de services, une analyse approfondie de l’actif cédé est nécessaire pour déterminer le régime fiscal applicable.

Les difficultés de qualification pour des transactions européennes transfrontalières

La qualification des actifs numériques n’est pour le moment pas reconnue uniformément à l’échelle de tous les États membres de l’UE, puisque les pays ont des avis divergents sur la qualification de tel ou tel actif – chaque administration fiscale locale a son avis sur la soumission d’un actif numérique à la TVA ou non. Il peut donc y avoir des difficultés de concilier des régimes de TVA si des cessions transfrontières intra européennes se font.

Cependant, le régime va être unifié à l’échelle de l’UE avec la directive DAC 8. Pour en savoir plus sur ce sujet prospectif, nous vous invitons à lire l’article de ComptaCrypto associé : 

La réglementation européenne des crypto-actifs : MiCA, DAC8… Anticiper les futures règles crypto