Les autorités européennes, désireuses de rendre l’industrie des crypto entièrement transparente, mettent en place divers outils légaux à la disposition des Etats membres : tout le monde a déjà entendu parlé de la directive DAC8 en fiscalité, qui va permettre aux autorités fiscales des pays d’échanger automatiquement des informations entre elles.
En matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, le secteur crypto est malheureusement très exposé à la méfiance des autorités, dans la mesure où celles-ci ont toujours eu à l’idée (préconçue, selon certains) que les cryptos ont un rôle particulièrement important dans la criminalité. On l’entend souvent, selon les pouvoirs publics, les cryptos, c’est avant tout les paiements sur le darknet, le financement de projets illégaux, la généralisation des actifs numériques anonymes comme Monero ou Zcash.
Une position totalement biaisée, selon de nombreux acteurs de l’industrie et des associations de professionnels du secteur. Par exemple, le cofondateur de Ledger Eric Larchevêque explique d’une manière didactique en quoi les flux de cryptomonnaies sont en réalité plus facilement traçables que les flux d’argent physique, dans une interview à Finary en date du printemps 2024 : les adresses sont publiques, trouvables assez facilement, et pour la plupart des cryptos il est possible de retrouver l’ensemble des flux, ce qui permet aux forces de l’ordre de retracer schémas complexes plus facilement que dans le cas du cash liquide.
Quoi qu’il en soit, le blocage intellectuel des autorités persiste et celles-ci renforcent le contrôle sur le secteur. Le but est donc, pour les acteurs honnêtes, d’essayer de s’y retrouver pour être à la fois en conformité avec les règles tout en restant
Cet article se destine à exposer les règles applicables en France et à présenter quels sont les acteurs de l’industrie crypto soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Quelles règles applicables ?
Par définition, le blanchiment de fonds consiste à donner une apparence légitime à des fonds provenant d’activités illégales, ce qui permet de profiter d’un tel argent illégalement obtenu. Il peut s’agir soit de placement de fond illicites dans l’économie légale (par exemple la conversion des cryptos issues de la criminalité en euros), d’empilements avec créations de multiples flux et comptes pour rendre la traçabilité des flux compliquée, ou bien l’achat d’un bien ou d’un service avec des fonds illégaux.
En Europe et en France, il existe un régime préventif d’obligations très contraignant pesant sur l’industrie crypto, qui consiste à obliger les acteurs de ce secteur à appliquer un niveau de vigilance particulièrement élevé sur les clients et leurs fonds, et ce afin d’éviter que les fonds versés / échangés / utilisés aient pour origine une activité illégale.
La 5ème directive européenne relative à la lutte contre le blanchiment de fonds et le financement du terrorisme (dite directive “LCB-FT”) impose aux Etats membres de l’UE d’encadrer strictement le secteur des cryptos et vise une catégorie assez large d’acteurs crypto.
Il s’agit d’une directive qui s’est directement inspirée des recommandations du Groupe d’action financière (dit “GAFI”), un organisme international qui émet des recommandations non contraignantes pour 39 Etats membres du groupe, désireux de renforcer la réglementation du secteur crypto.
En France, la loi Pacte du 22 mai 2019 reprend les dispositions de la directive et les intègre dans le droit français, et les complète pour combler les imprécisions et les lacunes.
Quels acteurs crypto concernés ?
La loi Acte de 2019, qui vient appliquer et préciser la directive européenne LCB-FT, vise principalement les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) et les émetteurs de jetons.
Les PSAN
Sont soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme les PSAN, c’est–à-dire les acteurs crypto qui exercent les activités suivantes :
- conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques (définie par le pouvoir de maîtrise de l’entité sur les crypto d’autrui, ainsi que par la tenue d’un registre de positions)
- achat / vente d’actifs numériques, contre du fiat ou entre eux (une telle qualification pouvant être tirée des dispositions contractuelles fixées entre les parties)
- exploitation d’un exchange
- gestion de portefeuille crypto
- placement de crypto
Pour les échanges fiat / crypto et la conservation de crypto, la loi Pacte exige un enregistrement auprès de l’AMF qui nécessite la mise en place d’un système de lutte contre le blanchiment spécifique. Pour les autres activités, un agrément (non obligatoire) peut être obtenu afin de démontrer (notamment aux banques) que les activités sont dénuées de risque de blanchiment.
Sans qu’il n’y ait de certitudes sur ce sujet, il semblerait que de telles règles s’adressent aux acteurs français des cryptos seulement : la loi française ne s’applique qu’à des acteurs crypto qui fournissent des services en France ou qui s’adressent au public français.
Les émetteurs de jetons
Les émetteurs de jetons n’ont pas d’obligation de s’enregistrer auprès de l’AMF et peuvent simplement se contenter d’un agrément facultatif, qui leur permettra d’exercer pleinement leur business en France. Par exemple, cet agrément permet de réaliser des opérations de parrainage ou mécénat en lien avec l’émission de jeton, ou bien de mettre en place des opérations de marchandage. Sans l’agrément, de tels moyens de déploiement sont illégaux.
Ces règles ne s’appliquent qu’à des personnes constituées sous forme de personne morale établie ou immatriculée qu’en France.
Quelles obligations pour les acteurs crypto concernés ?
Identifier le client crypto
Dans le cadre de la loi Pacte, les PSAN sont soumis à des obligations strictes pour identifier et vérifier l’identité de leurs clients afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Avant d’établir toute relation d’affaires, les PSAN doivent collecter et valider les informations d’identité de leurs clients, y compris les documents justificatifs. Cette procédure, connue sous le nom de « Connaissance du Client » (KYC), s’applique tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales et inclut l’identification des bénéficiaires effectifs des transactions ou des comptes.
En plus de l’identification initiale, les PSAN doivent surveiller en continu les transactions pour détecter toute activité suspecte et évaluer les risques associés à chaque client. Les informations et documents relatifs à l’identité des clients doivent être conservés pendant au moins cinq ans après la fin de la relation d’affaires. En cas de suspicion de blanchiment ou de financement du terrorisme, les PSAN sont tenus de faire une déclaration de soupçon à TRACFIN. Ces mesures visent à garantir la sécurité et l’intégrité des services sur actifs numériques en France, conformément aux standards internationaux de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Exercer les activités avec vigilance
Le devoir de vigilance implique une surveillance continue des transactions pour détecter toute activité inhabituelle ou suspecte. Les PSAN doivent analyser la cohérence des transactions par rapport au profil du client, évaluer régulièrement les risques associés, et adapter leur vigilance en fonction de la nature et de l’ampleur de ces risques. Cela inclut également l’obligation d’identifier et de comprendre l’origine des fonds utilisés dans les transactions pour éviter toute participation involontaire à des activités de blanchiment ou de financement du terrorisme.
En cas de détection d’anomalies ou de suspicions lors de la surveillance des transactions, les PSAN sont tenus de réagir rapidement en effectuant des vérifications supplémentaires. Si des soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme sont confirmés, les PSAN doivent déclarer ces activités à TRACFIN, l’autorité française de lutte contre les circuits financiers clandestins. Cette vigilance constante et proactive permet de protéger le système financier contre les abus et de maintenir la conformité avec les régulations anti-blanchiment.