Les transactions crypto entre filiales d’un groupe, quelles précautions prendre en matière de prix de transfert ?

Les prix de transfert font référence aux prix auxquels les filiales d’une entreprise multinationale se facturent mutuellement les biens et services échangés en intragroupe. 

Pour se faire une idée simplement des flux qui sont concernés par les prix de transfert, on peut par exemple penser aux flux financiers de crypto et d’argent fiat entre les différentes filiales du groupe de Sam Bankman Fried dans la tristement célèbre affaire FTX de 2022-2023 : peut être que vous avez vu passer le grand diagramme des flux entre plein de sociétés, de tels flux doivent alors être soumis à un régime fiscal particulier.

On peut imaginer facilement qu’un groupe crypto s’organise avec de tels flux pour des questions de gestion des affaires à l’internationale, de répartition de fonds et de financement d’activités crypto, ainsi que pour l’assistance au développement d’une filiale.

Cela étant précisé, nul besoin d’être une plateforme d’échange ni d’être un grand groupe multinational de crypto pour que les règles sur les prix de transfert s’appliquent – si des transactions à l’internationale sont passées entre des filiales d’un même groupe, il convient de s’intéresser à leur fiscalité, et donc aux règles de prix de transfert.

Cet article se destine à donner un résumé sur les règles applicables en matière de prix de transfert dans le domaine des crypto et du Web 3.0. 

Introduction : les prix de transfert, quels principes applicables ?

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Pour comprendre facilement les prix de transfert, considérons qu’un groupe multinational est un groupe de n’importe quelle taille, dont les filiales sont situées dans des pays différents. 

Ces entreprises, qui effectuent entre elles des transactions transfrontalières (de biens, de services, de paiements ou de flux de crypto par exemple…), peuvent être tentées de réduire ou de majorer les prix des transactions.

Le schéma le plus simple serait le suivant : on peut imaginer une petite filiale, qui ne porte aucune fonction ni actif particulier, qui n’assume aucun risque, située dans un pays à faible fiscalité, et qui bénéficie d’un soutien financier et de prestations de services à grande échelle depuis le siège français (sa société mère) où est situé tout le business et la création de valeur du groupe. 

Imaginons que c’est cette filiale faiblement imposée qui conclut des contrats avec des tiers, par exemple des services crypto sur internet, alors que le business est en vérité mené depuis la France, et c’est grâce à la société mère française que cette filiale peut fonctionner. 

Alors, les paiements par les consommateurs seront effectués à cette petite filiale étrangère, donc faiblement taxés, alors que le fisc français récupèrera moins d’impôt : le groupe sera, de cette façon, disproportionnellement profitable dans son ensemble en faveur du pays à faible fiscalité, et les autorités françaises seront perdantes. La valeur est créée en France alors que son imposition l’est ailleurs.

Une telle pratique n’est pas acceptée par les autorités fiscales de la plupart des pays, et est sujette à sanction. Pour les autorités, l’objectif est de s’assurer que les transactions entre les entités liées se font à des prix similaires à ceux qui seraient convenus entre des parties indépendantes, afin d’éviter toute manipulation fiscale : on parle du principe de pleine concurrence. Pour le respecter,  les groupes doivent trouver des transactions qui seraient comparables, sur le marché libre. 

Résumé simplement, un groupe multinational doit pratiquer des prix qui ne faussent pas l’imposition dans chaque pays, sinon cela reviendrait à artificiellement éroder la base imposable.  

Ces dernières années, les prix de transfert ont attiré une attention considérable des autorités fiscales françaises : en effet, le montant agrégé des flux internationaux intragroupes augmente d’année en année, et mécaniquement, les recettes fiscales afférentes aussi. Le développement des technologies explique en partie cette croissance: les flux immatériels entre filiales d’un même groupe sont de plus en plus faciles à mettre en œuvre, et peuvent être assez facilement traqués par le fisc.

Les flux intragroupes de crypto entre sociétés : quelle fiscalité ?

Vous l’aurez compris, ce thème concerne tout particulièrement les flux transfrontaliers intragroupes de cryptos ou de services relatifs au monde du Web 3.0. Certains groupes se rendent compte que faire des transactions en crypto est plus rapide et moins coûteux que de passer par des acteurs bancaires. D’autres commencent à introduire la blockchain et les actifs numériques pour gérer leurs activités internationales. Enfin, certaines multinationales spécialisées dans le secteur des actifs numériques réalisent plein de flux internes, puisque leurs équipes sont souvent dispersées dans le monde.

Quelles particularités pour les crypto ?

Dans le domaine des prix de transfert, les groupes spécialisés dans la crypto et plus généralement dans le Web 3.0, comme un exchange, un groupe crypto centré sur la DeFi, ou encore une multinationale spécialisée dans les contrats on-chain par exemple, présentent des défis uniques que les fiscalistes doivent relever. 

En effet, les structures traditionnelles de propriété et de contrôle de la valeur créée sont souvent floues dans ces entreprises. Or, savoir quelle entité du groupe contrôle les pouvoirs de décision, de création de valeur et qui prend les plus grands risques est prépondérant pour bien appliquer les règles de prix de transfert. 

  • Exemple n°1: un protocole peut être développé par plusieurs parties à travers le monde, et non pas uniquement au sein d’une seule entreprise. Souvent, les développeurs sont dispersés dans différents pays et dans ce cas il devient difficile de savoir exactement où est développé le protocole. Des flux de valeur interviennent entre différents pays et il est alors indispensable de s’assurer qu’il n’y a pas de transfert sans justification économique de la base imposable. 
  • Exemple n°2 : de plus, les Decentralized Autonomous Organizations (“DAO”) peuvent détenir des droits de gouvernance sur le protocole, séparément de la propriété économique associée au développement des cryptos. Les jetons au sein de ces systèmes peuvent ne pas avoir de valeur monétaire mais comportent des droits de vote. Alors, une telle séparation de la valeur économique, de la gouvernance, de la propriété et du contrôle complique l’analyse des prix de transfert. 

Il n’existe actuellement aucune règle établie pour aborder ces complexités, laissant aux spécialistes des prix de transfert le défi de déterminer comment évaluer la valeur à travers les différents niveaux de l’organisation. Ces nuances soulignent la nécessité d’approches actualisées pour tenir compte des caractéristiques uniques de l’industrie du Web 3.0.

Quelques modèles pouvant être appliqués

Les modèles classiques des prix de transfert que l’on peut retrouver dans le monde des groupes multinationaux du Web 3.0 pourraient hypothétiquement être les suivants (cette liste étant non-limitative et sujette à discussion avec des spécialistes de prix de transfert) : 

  • Les règles relatives aux transferts d’actifs incorporels : les prix de transfert s’intéressent aux transferts d’actifs incorporels transfrontaliers entre deux filiales. De tels transferts doivent se faire dans les conditions de marché (dit simplement, le prix ne doit pas être faussé) et impliquent donc une analyse des rôles des entités qui se transfèrent l’actif : qui développe, exploite, maintient, protège et entretient l’actif, en pratique ? Cette entité est-elle rémunérée d’une façon équitable ? Dans le domaine des cryptos, déterminer le détenteur de la propriété économique d’un actif immatériel (par exemple, afférent à une technologie ou un protocole) et valoriser son transfert peut s’avérer particulièrement complexe. Aussi, il peut être difficile de fixer une juste valeur pour valoriser un actif incorporel à transférer, dans la mesure où il faut trouver des comparables dans le secteur des cryptos, ce qui n’est pas une mince affaire… Il y a donc un danger à ce qu’une autorité fiscale vienne affirmer qu’un transfert d’actif incorporel ne soit pas à son juste prix (en se basant sur ses propres connaissances du secteur) pour redresser ce transfert.
  • Les règles relatifs aux flux de services R&D : si des développeurs éparpillés dans le monde développent un protocole, chacun depuis sa filiale ou son établissement stable à l’étranger, il se peut que les flux de paiement depuis le bénéficiaire des services R&D vers ces développeurs soit analysé par une autorité fiscale, d’un point de vue des prix de transfert. Alors, il convient de voir s’il s’agit d’un service routinier ou non : le cas échéant, il est possible d’appliquer une rémunération de ce flux correspondant au coût de développement majoré d’un mark-up qu’il convient de fixer avec un spécialiste des prix de transfert. La difficulté est, une fois de plus, la recherche de comparables sur le marché libre pour fixer une juste rémunération. Pour le moment, dans domaine des cryptos, de la blockchain et du web 3.0 en général, un tel procédé peut être assez complexe à mettre en œuvre. 

Conclusion

Les prix de transfert sont de plus en plus scrutés par les autorités fiscales, celles-ci n’hésitent pas à redresser et sanctionner les multinationales qui opèrent des transactions transfrontalières qui ne respectent pas le principe de pleine concurrence. Le secteur blockchain et Web 3.0 étant en développement rapide, il est raisonnable d’imaginer que celui-ci sera tout particulièrement dans le viseur des autorités – celles-ci sont munies d’outils puissants et de moyens importants dans le cadre d’un contrôle fiscal des prix de transfert. Les groupes opérant dans ce secteur doivent donc redoubler de vigilance en s’adressant à des spécialistes de prix de transfert, pour être sûrs que leur politique de rémunération est viable et n’érode pas artificiellement la base imposable.